L'autre coté

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Le spectacle qui se déroula devant Anasteria lorsqu’elle ouvrit les yeux défiait tous ses rêves. Elle comprit sans difficulté qu’elle se trouvait de l’autre côté, dans le Dörmanlain. Pour la première fois de la vie, elle sentait son cerveau apaisé, comme s’il avait arrêté de fonctionner à plein régime et ses pensées s’organisaient enfin. Un calme régnait en elle, et elle le savoura. Elle prit un instant pour observer les alentours. Des bouts de tours, semblables à l’architecture de l’académie, flottaient dans un ciel sans soleil et verdâtre. Elle avait l’impression de revenir dans le songe de Davos, l’angoisse en moins.

 

Enfin réveillé.

 

Son regard trouva finalement la source de cette voix. Une silhouette de feu se tenait debout devant elle, et la toisait. Elle avait une allure humaine, même si elle ne possédait aucun signe distinctif tel que des cheveux ou des yeux. Elle avait déjà vu cet esprit dans le songe de Davos. Il était venu les aider ! Et lorsqu’elle entendit de nouveau sa voix, elle n’avait plus aucun doute.

 

Tu es devenue muette avec le temps?

— Tu es l’esprit que j’entends depuis des mois, souffla-t-elle. C’est toi qui nous as sauvés dans le songe de Davos.

Oui, c’est moi. Une belle bêtise que tu avais faite ce jour-là

 

Anasteria se releva difficilement et décida d’ignorer la douleur dans son dos. Elle se sentait perdue et confuse par rapport aux derniers évènements.

 

— Qu’est-ce qui se passe ? Qui es-tu ?

Je pensais que c’était évident, je suis un esprit. Le tien en l’occurrence, héritière d’Enariel.

— Ce nom encore, soupira Anasteria. Cela ne répond pas vraiment à ma question.

 

La silhouette se transforma rapidement, et à travers les flammes, Anasteria parvint à voir un visage semblable au sien et qui lui sourit.

 

Quelqu’un t’a tiré ici, mais ce n’est pas moi. J’ai essayé de te parler, mais l’influence de l’agent du Patriarche demeurait trop forte pour moi.

— J’ai entendu ce nom de la bouche des ombres et je l’ai vu en songe. Qui est-il ? Et qu’est-ce qui me veut ?

C’est une puissante ombre. La plus puissante, pour être exact, et elle contrôle les autres. Et ce qu’elle veut, c’est ce qui fait de toi quelqu’un de spécial.

 

L’esprit s’approcha et son index toucha la poitrine d’Anasteria. Elle sentit une intense chaleur l’envahir.

 

Ton sang vient d’Enariel. Et comme tous les héritiers, le Patriarche veut le pouvoir que ce sang te confère.

— Qu’est la différence entre moi et un autre mage ? Pourquoi moi plutôt qu’un autre ? Je ne suis pas spéciale ! Et puis, qui est cet "Enariel" ?

Tu es spécial. Crois-moi. Contrairement aux autres, tu n’as pas simplement une affinité. Tu fais partie aussi de ce monde. Tu peux voyager entre les deux univers, sentir les ombres et les esprits comme tu peux voir les humains ou les nains. Tu es à l’aise dans les deux, et chacun d’eux est ton foyer. C’est un pouvoir fort, que le Patriarche convoite.

 

Anasteria croisa les bras et recula de quelques pas. La chaleur la quitta, mais l’esprit ne broncha pas. Elle sentait qu’il faisait preuve de sincérité, mais tout cela lui paraissait si difficile à avaler.

 

— Je ne suis pas spéciale, répéta-t-elle. Je suis loin d’être la mage la plus douée.

Le temps permet d’apprendre et de parfaire ses connaissances. Tu ne peux pas maîtriser tes pouvoirs si facilement. C’est pourquoi tout cela t’arrive en ce moment. Tu as peur. Tu es confuse, et tu laisses tes émotions prendre le pas sur ta raison. Et si tu ne fais pas attention, le Patriarche posera la main sur toi.

— Arrête de parler comme si tu me connaissais ! cria Anasteria. Tu ne sais rien de moi !

Je sais tout. Je vis avec toi depuis ta naissance. Je te regarde de ce côté-ci de la barrière, en attendant que tu grandisses, et que tes pouvoirs se développent. Toi, et moi, nous sommes les deux faces d’une même pièce. Je suis autant toi, que tu es moi.

 

Anasteria secoua vivement sa tête.

 

— Ce n’est pas possible.

Même si tu ne me crois pas. Cela ne change rien au fait que tu es en danger. L’agent du Patriarche te cherche. Tu dois retourner à l’académie.

— C’est vrai que l’académie est tellement sûre ces derniers temps.

C’est parce que l’agent te cherche. Il envoyait ses sbires. Maintenant, il s’occupe de toi personnellement.

 

Anasteria posa ses mains sur ses hanches et observa les alentours. Elle avait des milliers de questions, et plus elle discutait avec l’esprit, plus ces questions se multipliaient.

 

— Tu n’as pas répondu à ma question : quel est ton nom ?

Je ne peux pas le dire.

— Comment ça ?

Un nom pour un esprit représente tout. C’est moi, ma vie, mes pouvoirs. C’est ce que nous utilisons pour créer un lien. Je ne peux pas te le donner tant que tu n’es pas prête à fusionner avec moi.

— Et qu’est-ce qui te fait dire que je ne suis pas prête ?

Je le sens, tu ne maitrises pas assez la magie, et tes pouvoirs. Tu serais consumé par le mien. Maintenant, en route. Si nous restons ici, il te trouvera.

— Je n’ai pas fini, intervint Anasteria. J’ai encore tellement de questions.

Malheureusement, le temps nous manque.

— Pourquoi suis-je une héritière d’Enariel ? Comment est ce possible ? Et encore une fois, qui est-il ?

 

L’esprit commençait à s’agiter. Les flammes qui le composaient gagnaient en puissance et virevoltaient autour d’eux.

 

C’est un ancien. Tu possèdes son sang, comme tous les héritiers. Et il traverse les âges pour ne jamais perdre en intensité face aux mélanges. Il se transmet de parent à enfant.

 

Anasteria fronça les sourcils. Ses parents ne pratiquaient pas la magie, elle le savait. Une boule se forma dans sa gorge alors que ses craintes se confirmaient. Ils lui avaient menti tout ce temps. Elle n’était pas de la famille Horne. Au-delà de la douleur, une colère noire commençait à prendre forme dans ses entrailles. Le bout de ses doigts picotait de chaleur, et le souffle qui s’échappait de ses narines lui semblait brûlant.

 

Assez discuté, ordonna l’esprit. Je dois te ramener à l’académie. Trouvons un endroit où le voile est faible, et je pourrais ouvrir une faille.

— Attends ! Une amie est arrivée ici avec moi, Laurène. On doit la sauver !

Non! Tu dois rentrer où l’agent va te trouver.

— Je ne vais pas la laisser seule ici !

Réfléchis un instant, Anasteria. Ta témérité t’a déjà couté bien cher, et mis en danger plusieurs fois. Ne laisse pas tes sentiments prendre le pas sur ta raison.

— Pour quelque chose qui est supposé être mon alter ego, tu me connais vraiment très mal.

 

Anasteria n’abandonnerait pas Laurène, c’était hors de question. Elle la connaissait. La pauvre devait sans doute se trouver dans un coin, perdue et seule, complètement paniquée. Laurène ne possédait rien d’une combattante et cela inquiétait grandement Anasteria. Elle tourna les talons, et s’éloigna de l’esprit. S’il ne voulait pas l’aider, elle se débrouillerait sans lui. Anasteria était beaucoup de choses, mais elle n’était pas indifférente et peureuse. Elle devait la trouver, et la sauver. Finalement, l’esprit lui emboîta le pas.

 

Tu es affreusement têtue.

 

Elle le savait, tout le monde le lui répétait.

***

— Alors, dis-moi que tu as pensé à un plan, souffla Johan. La réserve est sous bonne garde, les professeurs surveillent, et on devrait rejoindre nos chambres, comme l’a dit Eyron.

 

Ivona fronça les sourcils. Ils avaient trouvé un coin de la cour pour l’instant à l’abri des regards. Mais Johan avait raison, les professeurs commençaient leur patrouille. Peu importe leur plan, ils devaient l’exécuter sans perdre un instant. Et pourtant, la seule idée qu’elle avait ne lui plaisait guère.

 

— J’en ai un, confia-t-elle d’une petite voix.

— Super ! Tu es trop forte ! Dépêchons-nous et allons les chercher. Où va-t-on trouver les ingrédients pour le rituel ?

— On les a déjà.

 

Ivona attendait que Johan devine son sous-entendu, mais il fronça les sourcils de confusions. Il regarda autour d’eux sans comprendre. Ivona soupira. Johan était vraiment trop honnête.

 

— Johan, le seul moyen, c’est de réaliser une rune avec notre sang.

 

Il écarquilla les yeux d’effroi et secoua vivement la tête.

 

— Non. Hors de question Ivona ! Utiliser son sang comme ingrédient c’est… C’est de la magie du sang ! C’est interdit par le Collège ! On pourrait passer pour des sombremages !

— Je sais ! Mais je ne vois pas d’autres solutions, si tu en as une c’est maintenant.

 

Ivona espérait secrètement que Johan révèle quelque chose qui leur éviterait cette solution. Elle se doutait des risques si les magistères apprenaient ça. Mais elle ne voyait aucune autre issue, et elle ne pouvait pas attendre plus. Chaque seconde ici accroissait son angoisse. Elle se sentait déjà assez minable envers Anasteria à cause de son comportement, elle ne voulait pas avoir sa mort sur sa conscience. Johan commençait nerveusement à faire les cent pas et marmonner.

 

— On ne peut pas… On ne peut pas faire ça, Ivona… On va avoir des problèmes.

— Je sais, répondit-elle. Mais… c’est maintenant ou jamais. Si on tergiverse trop, ils vont remarquer qu’on n’attend pas dans nos chambres. Et certes, on risque beaucoup. Mais je ne vais pas rester les bras croisés pendant qu’Anasteria et Laurène se trouvent de l’autre côté.

 

Johan se stoppa et sourit à Ivona. Cette dernière voulait rouler des yeux, car elle devinait la suite de la discussion.

 

— Je ne pensais pas que tu te souciais encore d’Ana.

— Bien sûr que je me soucie d’elle ! rétorqua Ivona. Écoute, je sais que j’ai… très mal agi, et que je n’aurais pas dû être si dure avec elle. J’ai compris, d’accord ? Je veux la sortir de là pour m’excuser auprès d’elle.

 

Johan réfléchit un instant, avant de pousser un soupir si fort que ses épaules se dégonflèrent.

 

— Personne ne doit savoir ce qu’on a fait ici, lâcha-t-il. Pas même Anasteria ou Laurène.

— Oui, tu as raison. On doit le garder pour nous. Au pire, on expliquera qu’on possédait une réserve d’ingrédient dans nos chambres. On sera puni, mais ça restera mieux que l’accusation de magie du sang.

— Oui, j’imagine. Dis-moi ce que je dois faire.

 

Ivona inspira un coup pour se donner du courage. Elle ne connaissait pas vraiment cette partie de la magie. Un jour, sa grand-mère lui avait expliqué que le sang pouvait être utilisé comme catalyseur, de la même manière que des plantes, car il portait en lui les particules de magie qui lient toutes vies entre elles. Cependant, pour des raisons éthiques évidentes, le Collège avait interdit cette pratique, notamment pour empêcher les mages d’utiliser le sang d’autrui. Elle fouilla dans sa besace qui contenait les outils de préparation, et sortit un couteau.

 

— Le voile est déjà affaibli. Avec une rune de concentration, comme celle face aux licheurs, on devrait pouvoir créer une faille. Mais je pense qu’on aura besoin de moins de catalyseurs que dans les bois.

 

Elle s’entailla la paume de la main gauche et grimaça. Elle regarda le sang couler doucement et fixa Johan.

 

— Commençons, ordonna-t-elle.

 

Johan soupira, et sortit son propre couteau de sa besace. Il se blessa lui aussi, et comme Ivona, il traça la rune avec son sang.

 

— Elle est petite, constata-t-il. Tu penses que ça suffira ?

— J’espère, souffla Ivona. On ne peut pas réaliser plus grand sans nous vider de notre sang. Si on pouvait éviter de tomber dans les pommes.

— Oui, pas faux.

 

Une fois la rune terminée, ils posèrent leurs mains sur les marques écarlates. Les énergies se rassemblaient autour d’eux, et consumèrent le sang de la rune.

 

— Qu’est ce que tu penses qu’on va trouver de l’autre côté ? demanda Johan.

— Des ennuis, répondit Ivona. Honnêtement, je ne sais pas. Ma grand-mère m’a souvent dit que le Dörmanlain pouvait paraître déroutant. Ce n’est pas comme ici, l’énergie se trouve partout et elle peut nous engloutir. Quoi qu’il se passe là-bas, garde la tête froide et concentre-toi. On pourra utiliser la magie comme bon nous semble, mais si on se laisse dépasser, on deviendra de vraies bombes humaines.

— Tu as toujours le chic pour rassurer…

— Pardon, souffla-t-elle, je ne suis pas Anasteria…

 

Johan esquissa un sourire curieusement apaisant.

 

— Allons la chercher, et ramenons-la avec Laurène.

 

Ivona hocha la tête, et quelques secondes après, l’accumulation d’énergie fut suffisante. Une faille tout juste grande pour laisser passer une personne apparut devant eux. Sans perdre une minute, Johan passa à travers, et Ivona le suivit. Après un bref flash lumineux, ils arrivèrent dans l’autre côté. La déchirure se referma aussitôt derrière eux, et tous les deux prirent un instant pour contempler autour d’eux. Ivona avait lu tellement de récits à ce sujet, mais rien n’aurait pu la préparer à l’afflux d’énergie qu’elle ressentait dans chaque partie de son corps. Elle inspira profondément pour empêcher sa tête de tourner.

 

— Par la lumière, jura Johan, c’est donc ça.

— Je sais que je te l’ai déjà dit, intervint Ivona, mais tu devrais arrêter de jurer par la lumière.

 

Johan lâcha un petit rire et haussa les épaules.

 

— Oui, tu as raison. On va finir par voir que je suis méridien.

— C’est vrai que ton accent ne te trahit pas. Ou tes yeux.

 

Il répondit par un sourire amusé et esquissa quelques pas. Son regard se posait partout : sur les parties d’architecture volante, sur les amas de chair étranges, sur les énergies visibles. Ivona trouvait ce paysage macabre, et en même temps fascinant.

 

— Je me sens bizarre, avoua Johan.

— C’est normal. On n’a pas besoin de canaliser les énergies ici. Mais cela ne veut pas dire que notre corps pourrait supporter de puissants sorts. Reste concentré, et tout ira bien.

 

Johan inspira profondément. Il ne se considérait pas vraiment comme quelqu’un de courageux d’habitude, mais le fait de se trouver avec Ivona et son assurance le réconfortait. Et elle avait raison. Johan savait que s’il écoutait son amie, tout se passerait bien.

 

— Très bien, allons les sauver, lâcha-t-il.

— Restons sur nos gardes, et avançons prudemment.

 

Ensemble, ils commencèrent à progresser dans cette désolation. Tout ce qu’ils pouvaient espérer, c’était de rejoindre rapidement Anasteria et Laurène, et de repartir aussi vite. Mais quelque part, Ivona se doutait que la tâche ne serait pas facile. Les ombres qui les avaient attirées devaient se cacher, tapies à les observer. Mais pour l’instant, leur objectif était clair : trouver Anasteria et Laurène. Rien d’autre.

***

 

Le temps semblait s’étirer et n’avoir plus aucune incidence dans ce côté-ci du voile. Anasteria avait le sentiment qu’elle arpentait cet étrange monde depuis maintenant des jours, bien qu’elle savait que ce n’était pas le cas. Mais elle se rapprochait de Laurène, elle pouvait le sentir. Et elle avait raison. Elle arriva dans une zone qui ressemblait curieusement à la cour de l’académie. Quelques dalles blanches sortaient d’un sol boueux et noirci. Les trois tours en ruines qui se trouvaient autour ne possédaient pas de fin et s’étendaient infiniment vers le ciel. Et au milieu, Laurène se tenait là tremblotante et apeurée. Anasteria poussa un soupir de soulagement et courut vers elle.

 

— Laurène !

Anasteria! Ne t’approche pas!

 

Quelque chose dans le ton de l’esprit la força à se stopper à quelques mètres d’elle. Maintenant qu’elle prenait le temps, elle pouvait sentir une énergie noire se dégager de son amie. Le cœur d’Anasteria rata un battement, et elle demanda d’une voix peu assurée.

 

— Laurène ? Est-ce que ça va ?

 

Son amie ne lui faisait pas face et elle ne se tourna pas lorsqu’Anasteria l’appela. Ses membres tremblaient de façon anormale. Et soudain, elle hurla de douleur et attrapa sa tête avec ses mains.

 

— Il est dans ma tête ! Ça fait si mal !

Anasteria! Recule!

 

Anasteria eut tout juste le temps d’esquisser un pas en arrière avant qu’une énergie sombre ne la balaye en une vague qui souffla les dalles et la poussière. Devant les yeux d’Anasteria, un véritable spectacle d’effroi eut lieu. Laurène se contorsionna dans tous les sens et chaque mouvement s’accompagnait d’un craquement lugubre. L’énergie noire suintait comme du sang des plaies béantes que les os créaient en bougeant. Très vite, Laurène devint une abomination, un mélange de chair, d’os apparent, et de magie sombre. Sa mâchoire s’était ouverte dans un angle beaucoup trop grand, et laissait voir des ténèbres infinies. Les côtes formaient désormais un bouclier protecteur autour de sa poitrine. Aussi effrayant que cela fût, Anasteria ne pouvait pas détourner les yeux. Elle n’arrivait pas à croire que Laurène venait de se transformer à cette abomination. Lorsque cette dernière chargea, Anasteria ne dut son salut qu’à son esprit qui lança une boule de feu. Le projectile la toucha en pleine poitrine et la fit voler sur quelques mètres.

 

Anasteria!

 

La voix de l’esprit brisa sa léthargie et elle secoua sa tête. Elle n’avait pas d’autre choix que de se battre désormais contre elle, elle le savait. L’abomination se releva et Anasteria inspira profondément. Quelque chose de chaud enveloppa un instant sa main droite, et quelques secondes plus tard, une épée flamboyante prit place dans sa paume. Elle ignora les nouvelles questions qu’elle se posait et se mit en garde. L’atrocité sombre chargea de nouveau, et ses phalanges devenues aussi acérées que des griffes frappèrent plusieurs fois l’épée d’Anasteria. Mais elle ne céda pas. Ses jambes reculèrent encore et encore à chaque coup, mais elle tenait bon. L’esprit tenta de l’aider, mais les projectiles de feu furent absorbés par un bouclier sombre. Le bras de l’abomination exécuta un arc de cercle pour écorcher de nouveau Anasteria. Malgré son esquive, l’attaque entailla son flanc et Anasteria laissa échapper un grognement. Elle voulut riposter en matérialisant une boule de feu, mais l’énergie noire l’absorba aussitôt. La main griffue l’attrapa par le cou et la jeta comme un sac de blé. L’impact au sol fut violent, mais elle ignora la douleur dans tout son corps et se releva. Elle n’allait pas abandonner si facilement, et son esprit non plus.

L’abomination chargea et plusieurs projectiles de feu descendirent du ciel pour la blesser. Sur la dizaine, seulement cinq touchèrent leur cible, mais ce fut assez. Anasteria vit une ouverture, et comme son père lui disait souvent, on ne laisse jamais passer une occasion. La lame se planta entre les côtes de l’abomination qui hurla. Malheureusement, l’épée se retrouva bloquée dans le miasme d’énergie noir. Anasteria l’abandonna et donna un violent coup de pied dans son ennemi. Elle recula, chancelante, sur plusieurs mètres. Mais Anasteria n’allait pas relâcher la pression. Elle utilisa ses pouvoirs pour créer des piques de terres qui transpercèrent l’abomination. C’était si facile dans ce monde, elle pourrait prendre goût à tout ça.

L’être monstrueux ne bougeait plus et Anasteria inspira un grand coup pour évacuer la tension dans son corps. L’esprit se déplaça à ses côtés.

 

Bon travail.

 

Anasteria esquissa un sourire fatigué. Tout son être hurlait de douleur, et elle se sentait complètement vidée de toute énergie. Elle avait encore du mal à réaliser que c’était Laurène. Elle contempla l’abomination, mais rien ne pouvait lui rappeler son amie, elle avait totalement disparu. Une pointe de culpabilité perça son cœur. Si Laurène ne s’était pas tenue près d’elle durant l’ouverture de la faille, rien de tout ça ne serait arrivé.

 

— Décidément, je dois tout faire moi même.

 

Anasteria fronça les sourcils en entendant encore la voix de l’adolescente qui la tourmentait. Elle approchait doucement d’elle. L’énergie sombre dansait autour d’elle et elle affichait un sourire narquois.

 

— Toi… siffla Anasteria. Tu me commences à me gonfler.

— Tout serait plus simple si tu acceptais de mourir, Anasteria.

Attention, c’est l’agent du Patriarche.

— Qui es-tu ? demanda Anasteria.

 

L’adolescente fronça les sourcils, et mit un instant à répondre.

 

— Tu peux m’appeler Emely. Je te donne une dernière chance de me rejoindre.

— Va te faire foutre. Après ce que tu as fait, tu vas mourir ici.

— Oh ? Je ne crois pas. De plus, ce n’est pas ma faute si ton amie s’est retrouvée ici. Elle n’avait qu’à se tenir éloignée de toi. Tous ceux qui restent près de toi sont blessés… Ce n’est pas surprenant que ton amie… Comment s’appelle-t-elle déjà ? Ah oui, Ivona. Pas étonnant qu’elle ne te parle plus. Tu es une catastrophe.

 

Anasteria sentit une rage profonde la submerger. Son épée se matérialisa de nouveau dans sa main et elle chargea.

 

Attends !

 

Elle ignora purement et simplement l’esprit. Si Emely était responsable de tout ça, elle ne la laisserait pas s’en tirer. Emely dégaina deux courtes épées et para sans difficulté le coup d’Anasteria. Son sourire s’élargit en une expression malsaine.

 

— N’espère pas me battre, Anasteria. Nous avons peut-être le même âge, mais je maitrise mes pouvoirs.

 

Sur ces mots, les yeux d’Emely passèrent du bleu au violet. Elle donna un coup de pied dans le ventre d’Anasteria pour l’obliger à reculer. Puis, elle attaqua. Elle était rapide, et agile. Elle devait se battre à l’épée depuis aussi longtemps qu’Anasteria. Cette dernière se concentra et para comme elle le pouvait les coups. Dans sa vision périphérique, elle vit l’esprit de feu s’agitait. Mais alors qu’il s’apprêtait à réaliser un sort, de l’énergie noire sortit du corps d’Emely et attrapa l’esprit pour l’obliger au silence. Les flammes crépitaient à travers les ténèbres, mais ne parvenaient pas à s’en extirper.

 

— Tu ne peux même pas encore fusionner avec lui, soupira Emely. Moi, en revanche, je maitrise parfaitement mon ombre.

 

Anasteria pouvait voir l’aura de ténèbres autour d’elle former une silhouette sinistre. C’était donc ça, un sombremage. Et bien que la peur prenait place en son cœur, Anasteria ne reculait pas.

 

— Qui est ton contact à l’académie ? demanda-t-elle. Qui travaille pour le Patriarche ?

— Comme si j’allais te le dire. Et puis, pourquoi veux-tu savoir ? Tu ne retourneras pas à l’académie. Je vais t’emmener voir mon maitre, de gré ou de force.

 

Elle ne plaisantait pas. Elle tendit la main vers Anasteria et une vague d’énergie noire se dirigea vers elle. Elle tenta de créer un bouclier de terre, en vain. Les ténèbres frappèrent son sort et les débris la heurtèrent en pleine poitrine. Elle vola sur plusieurs mètres et resta au sol de longues secondes. Elle ne pouvait pas gagner. Elle ne possédait ni les compétences ni l’entrainement pour lutter contre un mage aussi aguerri qu’Emely. Elle fixa l’esprit de feu qui combattait comme il pouvait l’emprise des ténèbres, et elle commença à perdre espoir.

 

— Merde…

 

 

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